Le port de Byblos et sa zone côtière en péril…

Vu du port de Byblos©OLJ

Vue du Port de Byblos © OLJ

Article de May Makarem dans l’Orient-Le Jour.

Éboulements massifs, marécages insalubres, une tour écroulée, une autre rongée par l’érosion… La zone archéologique côtière de Byblos et le port médiéval menacés par la violence des vagues.

Il ne s’agit pas ici des dommages considérables subis par la flotte de pêche. Ni du bus faisant le plongeon dans le bassin du port lors de la dernière tempête ! Mais de la menace que la mer et ses énormes déferlantes font peser sur le port médiéval de Byblos et sur sa zone côtière. Construite en 1970 pour faire rempart et protéger le port, la jetée moderne ne semble pas si efficace. Une partie de sa structure est cassée et des dalles de plusieurs tonnes ont été soulevées et d’autres fissurées. La tour sud du port, reconstituée en 1968 avec des blocs de pierres anciennes sur un quai moderne, n’a pas été épargnée : sa façade s’est écroulée ! Celle du nord, dite « Tahoun », est encore debout. Mais rappelons que ses fondations ayant été fragilisées par des heurts de grandes barges, elle a été fissurée et se trouve en porte-à-faux sur plusieurs mètres. Elle a été restaurée en 2007 par la Direction générale des antiquités (DGA).

Le patrimoine archéologique côtier n’est pas non plus épargné. Il est même menacé de disparition : les traces de la carrière maritime de l’âge du bronze et de la nécropole datant de la même période s’effacent d’année en année sous l’assaut des vagues. La façade ouest du site archéologique est éventrée à chaque intempérie, provoquant des glissements de terrain et entraînant des structures archéologiques vers la mer ! « Aujourd’hui, il faut agir ! Il n’est plus question de laisser « tomber à l’eau » notre patrimoine historique ! » affirme le président de la municipalité de Byblos, Ziad Hawat.

Un projet de marina
Deux options sont envisagées à ce jour. La première consiste à doubler la longueur actuelle de la jetée pour protéger le bassin portuaire médiéval. La seconde, à construire un brise-lames immergé dont le rayon de protection couvrirait l’ensemble de la zone.

Selon les propos recueillis auprès de l’archéologue de terrain et subaquatique Martine Francis-Allouche, le prolongement de la jetée moderne aurait pour but « officiel » la « protection » du port médiéval. Mais il est évident qu’un tel projet risque de se voir transformer en marina pour l’amarrage de bateaux de plaisance, alors que la zone historique du port médiéval n’a pas la capacité d’absorber un trafic maritime que la marina engendrerait. De plus, ce projet mettra en péril le port antique qui a toutes les chances de se trouver au sud de Byblos, selon les résultats des dernières missions menées par l’archéologue. Une autre localisation, au nord de la zone portuaire actuelle, a été proposée pour recevoir les yachts de plaisance et les bateaux de croisières, affirme-t-elle.

En outre, le ministère des Travaux publics et des Transports s’est vu refuser à plusieurs reprises un tel projet de « jetée-marina » par la DGA et par l’Unesco, Byblos étant inscrite sur la liste du patrimoine mondial !

Les dégâts causés par la jetée
Il est bon de savoir que la jetée, construite en 1970, s’est révélée plutôt néfaste, dit l’archéologue. Elle rappelle que les dernières études menées pour le compte de la DGA et de la municipalité de Byblos avaient souligné les nombreux aspects négatifs d’une telle structure sur l’ensemble de la zone. La jetée n’a jamais minimisé l’impact des grandes vagues sur la zone du port. Les courants dominants du sud-ouest, dont les vagues déferlantes atteignent trois à quatre mètres en période de tempêtes, se heurtent contre la jetée. Leur force d’inertie augmente alors sur le versant sud (baie de Chamieh et façade ouest du site archéologique) vers lequel ils s’engouffrent, entraînant des glissements de terrain et des éboulements.
Quant au côté nord de la jetée, un effet de succion se produit, provoquant des turbulences permanentes de houles sous-marines. « Cela explique la relative rapidité de l’érosion de la tour nord du port depuis la construction de la jetée (40 ans) alors que la construction elle-même a tenu huit siècles ! »

L’absence d’ouvertures au travers de la jetée, servant de couloirs de circulation aux courants marins, entraîne un ensablement dans la baie de Chamieh et dans le bassin portuaire ; celui-ci est en fait un lagon naturel aménagé à l’époque médiévale, sans apport ni décharge d’eau. « Aujourd’hui, ces courants marins étant perturbés, la zone jouxtant l’entrée du port présente, en période de marée basse, des poches d’eau stagnante et des marécages insalubres créant une pollution importante et provoquant l’érosion rapide de la roche naturelle », explique l’archéologue. « Pour rétablir le cours normal des courants marins, il est impératif de créer des couloirs de circulation à travers la jetée et à l’intérieur du bassin portuaire », dit-elle. Elle souligne aussi que « les attaques de l’eau provoquent une érosion accélérée des entailles archéologiques, menaçant de disparition le patrimoine côtier ».

L’archéologue relève d’autre part que le chemin de promenade archéologique, prévu pour relier le port à la baie sablonneuse d’el-Skhyné (vers Eddé Sands), ne peut être construit puisque cette zone est exposée aux intempéries. « La construction d’un chemin (en béton) dans la baie de Chamieh en a déjà fait les frais en 2010. Il a été complètement détruit par les assauts de vagues. »

Et ce n’est pas tout. L’écosystème et l’archéologie sous-marine ont déjà été gravement endommagés durant les premiers travaux de la jetée dans les années 70. Une extension de celle-ci ne ferait qu’accroître les dégâts et mettre à mal l’équilibre encore préservé de la zone archéologique sous-marine. Les diverses missions de prospection sous-marine menées à Byblos depuis 1998 à ce jour ont prouvé la richesse du patrimoine archéologique sous-marin. L’Unesco et la DGA se sont d’ailleurs empressées de placer le périmètre (un rayon de 300 mètres) sous protection. « Il est donc impératif de ne pas prolonger le tronçon de la jetée actuelle. Il faut absolument éviter toute construction qui endommagerait les fonds sous-marins et leurs vestiges », insiste Mme Francis-Allouche.

Seule solution viable : un récif artificiel
Toujours selon la spécialiste, la solution à envisager doit permettre de protéger le port médiéval de Byblos et la zone archéologique qui lui est contiguë. Cette solution consiste à construire un brise-lames immergé au large qui se distingue notamment par sa facilité d’installation et son faible impact sur l’environnement. Son emplacement et sa profondeur ont été pris en compte par les dernières études de prospection bathymétrique effectuées en juin 2014, au sein du projet « Byblos et la mer », précise l’archéologue. Elle propose la mise en place d’un récif artificiel, comme brise-lames immergé, à partir de carcasses de bus ou encore mieux de chars à la casse, recyclés. « Le cimetière des chars de Amchit serait une matière première parfaite, de taille et de poids convenables pour sa construction. Les exemples de ce genre sont nombreux en Floride : 900 récifs artificiels, dont le plus grand construit à partir d’un porte-avions ! La matière première étant à portée de main, le coût du projet serait économiquement amoindri. En plus, les récifs artificiels permettent de stimuler la faune et la flore et de créer un site de plongée sous-marine touristique », ajoute-t-elle.

Il est donc évident que le prolongement de la jetée moderne en marina au pied du port historique de Byblos étranglerait ce dernier, ferait disparaître cette tradition millénaire de pêcheurs, première raison d’être de cette ville portuaire. Byblos verra son identité archéologique, historique et sociologique déformée. Le site de Byblos est classé à la liste du patrimoine mondial de l’humanité depuis 1983. Il est du devoir absolu de tout Libanais de contribuer à la préservation et la sauvegarde de cet héritage millénaire pour les générations futures.


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