L’enlèvement d’Europe par Clara Castagné

Enlèvement d’Europe – © Clara Castagné

Le mythe de l’enlèvement d’Europe est un des plus anciens thèmes abordés dans l’art depuis l’Antiquité. Son histoire iconographique a été retracée par Christian de Bartillat & Alain Roba, dans leur ouvrage, Métamorphoses d’Europe, trente siècles d’iconographies, paru en 2000.

L’enlèvement d’Europe, mythe fondateur, qui a également suscité la curiosité, avec la création de l’union européenne, à connaître l’origine du nom que porte le continent. Pour une grande majorité, Europe était une princesse grecque, car par cette filiation, il n’y avait pas intérêt à aller chercher plus loin. Cela convenait tout le monde, d’oublier ses racines levantines, d’aller vers cet Orient snobé par le « politiquement correct ».

Que cela plaise ou non, Europe n’est pas grecque, ses racines sont bel et bien ancrées en Orient, dans la cité millénaire de Tyr, ville côtière au Sud-Liban, d’où elle est originaire. Fille d’Agénor et de Théléphassa, elle fut enlevée par Zeus métamorphosé en taureau. Ses frères partirent à sa recherche, en vain. L’un d’eux, Cadmos, arrivé en Grèce offrit en échange d’information, les précieuses lettres de l’alphabet :

Pendant le séjour que firent en ce pays les Phéniciens qui avaient accompagné Cadmos, et au nombre desquels étaient les Géphyriens, ils introduisent en Grèce plusieurs connaissances et entre autres des lettres, qui étaient, à mon avis, inconnues auparavant dans ce pays. Ils les employèrent d’abord de la même manière que tous les Phéniciens. Mais dans la suite des temps, ces lettres changèrent avec la langue et prirent une autre forme. Les pays circonvoisins étant alors occupés par les Ioniens, ceux-ci adoptèrent ces lettres, dont les Phéniciens les avaient instruits, mais ils firent quelques légers changements. Ils convenaient de bonne foi et comme le voulait la justice, qu’on leur avait donné le nom de lettres phéniciennes, parce que les Phéniciens les avaient introduites en Grèce. (Hérodote, II, 58).

Ce mythe continue à inspirer les artistes. Nous avions évoqué sur ce blog, l’œuvre sculptée de Georges Merheb, offerte par la Municipalité de Beyrouth à sa consœur de Marseille, en novembre 2013. Une sculpture contemporaine représentant ce mythe fondateur, lien entre l’Orient et L’Occident, installée Place Bonnefon – 13008 Marseille .

Clara Castagné et son exposition

Aujourd’hui nous vous présentons les œuvres de Clara Castagné, artiste peintre, qui décline une nouvelle iconographie autour de cet enlèvement d’Europe. Du 13 juin au 02 septembre 2018, vous pouvez admirer son travail à Montpellier, Espace Dominique Bagouet. Elle présente, dans le cadre de l’exposition « 3 Femmes dans la ville », une de ses séries, nommée Géographies. Sur la carte La nuova Europa, nous retrouvons la princesse, chevauchant le taureau. L’occasion nous a été donné de questionner l’artiste sur ses choix, son travail et son interprétation de ce mythe historique.

  • Comment cette iconographie du mythe de l’enlèvement d’Europe s’est présentée dans votre répertoire ?

Ce mythe s’est présenté à moi suite à une série intitulée mythologies. Je l’avais travaillé, en coopération sur un projet d’illustrations de livre, avec Françoise Frontisi-Ducroux, helléniste, sous-directeur au Collège de France. Mes illustrations ne correspondaient pas à la ligne éditoriale voulue. Néanmoins, cette expérience m’a amené à me documenter et m’intéresser aux mythes de l’Antiquité dont celui d’Europe qui m’a séduit et que j’ai décliné par la suite en plusieurs tableaux.

  • Dans cette exposition vous présentez deux interprétations différentes, tirées de la série Géographies. Sont-elles les seules ou en avez-vous d’autres ?

Enlèvement d’Europe – © Clara Castagné

J’en ai réalisé plusieurs interprétations autour de ce mythe. L’iconographie classique, Europe chevauchant le taureau, assise en amazone, debout face aux vents, à genoux bien accrochée aux cornes pointues de la bête, allongée et décontractée, etc. Mais également avec une interprétation nouvelle, à quatre pattes portant le taureau sur le dos. Une adaptation, un jeu de rôle, qui réduit la dimension de Zeus et avantage la princesse qui porte désormais son destin sur le dos.

  • Quelle est la technique que vous utilisez ? Comment vous est venue l’idée de travailler sur ce support de cartes géographiques ?

Enlèvement d’Europe – © Clara Castagné

Parmi mes techniques artistiques, je travaille beaucoup avec le Bic noir, surtout les séries. Ce tracé m’accompagne depuis toujours, je ne sais l’expliquer. En ce qui concerne le support, plus particulièrement les cartes, il est lié au hasard de la vie. Un jour, comme tout un chacun, je parlais au téléphone en griffonnant sur mon calendrier de la poste, la partie réservée habituellement aux plans des villes dans le département, c’était le plan de Montpellier. En raccrochant j’étais saisi par cette expérience toute banale qui fut le déclic pour mon travail sur les cartes géographiques. J’ai cherché alors un ancien atlas que j’avais chez moi, et par la suite j’ai commencé à acheter cartes et atlas chez les bouquinistes. Certains de mes amis, dont une institutrice, ayant assisté à l’émergence de cette nouvelle série n’ont pas hésité à m’offrir des anciennes cartes scolaires. Cette série a été très appréciée, je continue, aujourd’hui encore, à recevoir des commandes. Des géographies plus humaines, figuratives, qui portent en elles des histoires, plus personnelles.

  • Vous présentez également dans cette exposition deux sculptures, avez-vous travaillé le mythe d’Europe également en sculpture ?

    Enlèvement d’Europe – © Clara Castagné

Mes créations sont en perpétuel mouvement, des expériences nouvelles, expérimentales au début, souvent sériées par la suite. Je travaille avec des matériaux divers et une plasticité qui se veut ouverte aux hasards de la vie. Les sculptures présentées à l’exposition en font partie. Cette série de divinités, avec des têtes à cornes, a débuté suite à un cadeau offert par un ami, un frontal de buffle d’eau d’Afrique. Comme pour les « Géographies », j’ai commencé à collecter des cornes, chez les antiquaires et les taxidermistes. Pour les visages j’utilise un matériau proche du plâtre et de la pâte à modeler, sur lequel je peux apporter du modelage, qui peut être poncé et n’a pas besoin de cuisson. Sur la couleur brun sombre je rajoute des touches de pointillé, tout en laissant le regard vide, empreint de mystère. Pour revenir au mythe de l’enlèvement d’Europe, j’en ai fait une sculpture en métal. Elle fait partie des « travaux en commun » avec mon compagnon Richard Pommier.

  • Saviez vous que cette princesse est originaire de Tyr, ville du Sud Liban ou la croyez-vous grecque ? Seriez-vous intéressée d’exposer cette série au Liban ?

En coopérant au projet de Françoise Frontisi-Ducroux cité précédemment, j’ai plongé dans le monde des mythes et appris les méandres de cette histoire d’enlèvement d’une princesse levantine par le dieu grec métamorphosé en taureau. Mon approche n’est qu’une interprétation parmi d’autres, cependant le thème en lui-même est tellement riche à décliner, décortiquer et déborder avec d’autres supports que ce serait une joie d’y consacrer une exposition.

L’invitation est lancée, comme une bouteille à la mer. A travers ces lignes, nous sollicitions les institutions libanaises, les galeristes et aussi les mécènes, sensibles à ce mythe fondateur autour de ce projet d’exposition. N’hésitez pas à nous faire part de vos suggestions et propositions.


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