la mémoire des Phéniciens s’invite sur scène

Caracalla, « Finiqia », au festival de Byblos – août 2018@Press Photo Agency /OLJ.

La troupe de Caracalla, connue grâce à ses spectacles de danse, scrutés et attendus autant au Liban qu’à l’International, présenta le 17 et 18 août 2018, sa dernière création « Finiqia ».

Sollicité par le Festival de Byblos pour créer un spectacle folklorique, Ivan Caracalla a tenu à installer le décor de l’action dans cette ancienne cité de l’écriture. Afin de lui rendre hommage. Mais ce n’est certainement pas d’un documentaire qu’il s’agit. Pour ce passionné de légendes, il s’agissait de partager un conte, une fable, une histoire en somme (…). Remonter les aiguilles du temps, plonger dans le passé pour le relier au présent et mieux reconstruire le futur : seul l’art a ce pouvoir.

Entretenant avec l’Égypte des liens très étroits (…), le port actif exportait le vin et les bois du Liban vers le pays de Râ et importait du papyrus égyptien pour le revendre à travers toute la Méditerranée. C’est dans ce cadre-là que le roi de Gbail, le grand Ahiram, va recevoir Ramsès II sur fond de panneaux mouvants. Et voilà la grandeur des nations et, surtout, cet alphabet dansant, qui va voguer sur l’écume de la mer et des jours, et qui va amerrir sur la côte libanaise (cf. Colette Khalaf, OLJ, 18.8.2018).

Fondée par Abdel Halim Caracalla, la troupe a depuis toujours intégré dans ses spectacles artistiques une dimension patrimoniale, historique ainsi que son héritage oriental. Aujourd’hui encore, elle poursuit sa mission artistique avec les enfants du fondateur, Ivan et Elissa, à travers le Théâtre et l’Ecole de Danse qui portent son souffle, son professionnalisme empreint d’un amour ancré des traditions orientales, ouvertes au monde du spectacle et de la joie.

Après, entre autres, Rêve oriental d’une nuit d’été (1990), Elissa reine de Carthage (1995), Bilaylet Qamar (1999), Deux mille et une nuits (2002), Kan ya ma Kan (2012), … Voici venue, en commande du Festival, l’histoire de la célèbre cité-état de Byblos, qui ranime à travers cette fresque dansante, un pan de son passé glorieux.

L’avantage de ces spectacles musicaux, c’est leur rapport ludique et leur façon conviviale, joyeuse de nous rappeler le passé, d’une façon décontractée. Quand nous évoquons l’histoire, comme matière du programme scolaire, souvent nous sommes confrontés à des visages qui se ferment. Rares sont ceux qui ont aimé cette discipline et ont gardé un bon souvenir. Pour la plus grande majorité, ce n’était que de la mémorisation des dates et événements à réciter machinalement ! Aucun ne réalise l’importance de son passé, de son histoire, jusqu’au jour où il y est rattrapé, au tournant d’une discussion politique, sociale, patrimoniale, culturelle, que sais-je ? A ce moment, chacun réalise la portée de cette science humaine qui est au centre de tout. Qui de nous a oublié ce fameux proverbe populaire libanais : « Celui qui nie son origine n’a pas de racine » ?

Nos racines, chaque libanais y est attaché comme à la prunelle de ses yeux. Malgré les aléas de la vie et tout ce que nous avons traversé et continuons à supporter, de bons et de moins bons, cette terre de nos ancêtres nous reste chère, nous la portons en nous, que nous soyons au Liban ou dans les pays de l’expansion où nous avons choisi de nous installer. Notre histoire, sur laquelle nous sommes, jusqu’à ce jour, incapables de nous unir. Notre patrimoine, nos traditions, notre culture, notre folklore, toutes ces valeurs sont nos petits trésors dont nous nous enorgueillissons.

Quand nous abordons un sujet sérieux comme l’histoire, à travers un spectacle haut en couleurs, cela nous soude, le temps de la représentation, nos cœurs battent ensemble et pour un laps de temps nous oublions nos petites divergences et rêvons d’une citoyenneté transcendante, qui n’a d’autre « Graal » que le Liban, pays libre, indépendant et rassembleur de tous ses citoyens dans leur diversité si riche et féconde.

Hors du spectacle, la donne est différente, elle est moins nuancée, plutôt abrupte et réfractaire à tout consensus. Comment peut-on imaginer un programme d’histoire qui s’arrête en 1975 ? Pire, une Histoire du Liban, de l’antiquité à nos jours, enseignée dans tous les pays limitrophes et inexistante dans le pays d’origine ? Quand la première fois, une amie Palestinienne m’a annoncé cela, je suis restée de marbre. Palestinienne de Palestine, plus précisément de la ville de Taybeh et non réfugiée dans un des camps au Liban. Quelle comédie !!

Sûrement, chacun de vous, a dû, un jour ou l’autre, affronter cette situation qui frôle la schizophrénie clinique. Nous possédons toujours notre terre, nous y sommes, plus ou moins, citoyens de plein droit, nous nous réclamons d’une démocratie mais la réalité est toute autre, malheureusement. Il nous suffit d’une heure de spectacle pour quitter la réalité toute crue et se projeter dans une dimension tant rêvée et espérée. Pourquoi ce Liban évoqué, chanté, fantasmé  sur les planches est loin de nos espérances ? Pourquoi certains œuvrent, en coulisses, sournoisement, à le faire taire à jamais, le laissant à jamais un simple spectacle de danse, de folklore, de complaisance ? Une morphine qui endort, hypnotisant les droits et les réclamations, pour un réveil encore plus frustrant et désopilant ?

Je me souviens des années de guerre, lors des bombardements féroces, cachés dans les abris, nous restions collés aux radios qui diffusaient, en plus des flashs d’informations, les opérettes des frères Rahbani, en particulier le spectacle « Fakhreddine ». Dans ces pires moments, seule la musique était notre arme de résistance. Citoyens trahis et manipulés, non alignés, refusant de porter les armes et de soutenir l’une ou l’autre des milices, nous avions choisi la lutte musicale, seule capable de nous rendre notre Liban, libre et indépendant, face à l’hégémonie barbare.

Aujourd’hui encore, les Libanais de tout bord, se rassemblent spontanément au son du mejwez, se tiennent la main et dansent ensemble le Dabké, au nez et à la barbe de tous ceux qui veulent les anéantir. Peut-être qu’un jour, un musicien, un parolier et un chorégraphe relèveront ensemble le défi audacieux d’écrire l’Histoire du Liban. J’en suis convaincue qu’avec leurs talents ils trouveront un consensus, et avec la douceur et l’intelligence de leur art ils sauront réunir les femmes et les hommes sous l’étendard de la paix et du vrai « vivre ensemble ».

 

 


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